Paru pour le 10e anniversaire de la mort de Pierre Esperbé, ce livre est un ouvrage collectif réunissant des témoignages de ses nombreux amis, des articles, des photos, et des textes publiés ou inédits.
Il explore les différentes facettes de sa vie : le poète, l’homme de radio, le comédien, l’auteur de romans et de pièces de théâtre, etc.
Outre le texte qui m’a permis de lier l’ensemble, on peut y découvrir des contributions de Francesca Accorsi, Claude Albarède, Jeanine Baude, Jean Bensimon, Raymond Beyeler, Jean-François Blavin, Xavier Buffet, Noël Cayrouse, Guy Chaty, Claudine Chevreau, Gérard Cléry, Danièle Corre, Lucienne Deschamps, Gilles Dumenil, Patricia Ferté, Yves Frémion, Georges Friedenkraft, Bruno Fromentot, Gérard Gaillaguet, Claude Gaisne, Françoise Geier, Roger Gonnet, Rébecca Gruel, Mathias Lair, Benjamin Lambert, Simone Landry, Raymond Lansoy, Charlotte Le Bozec, Martine Le Saule, Claude Lemesle, Martine Magtyar, Alex Maillet, Chris Mestas, Alain Michel, Bernadette Nicolas, Denis Parmain, Christian Pelletier, Isabelle Poncet-Rimaud, Olivier Rech, Jean-Paul A. Reynaud, Thierry Sajat, Jeanine Salesse, Maryse Santini, Tina Schaefer, Solenna, Annie Thomas, Odile Vié-David.
Voir aussi la page dédiée à Pierre Esperbé : https://www.coletteklein.fr/pierre-esperbe/lecrivain/
Article de Jacqueline Persini paru dans Poésie/première n° 77
Colette Klein a réalisé ce beau livre pour commémorer les 10 ans de la mort de Pierre Esperbé. Apparaissent les multiples facettes d’un homme qui a posé les questions essentielles de l’existence à travers des poèmes, des romans, des pièces de théâtre, des chansons. Il animait sur Aligre FM de nombreuses émissions ainsi qu’un magazine européen : je suis d’Europe / et je voudrais sans honte / me regarder dans un miroir / sans honte de mes aïeux / les sans-papiers. Alors que Colette Klein, de nombreux amis, ses compagnons de route restituent la force de sa présence, il nous échappe encore, tant il y a des foules et des foules dans son crâne. À l’instant où on croit le saisir, il est déjà ailleurs, dans le cosmos, dans l’Histoire, dans des engagements poétiques et politiques, et bien sûr dans l’amour et la fraternité. Le voici en colère, indigné, s’élevant contre les murs et les injustices. Nous pourrons désœuvrer la haine avait-il besoin de croire. Curieux de tout, crinière au vent, toujours en route, il traversait dans l’angoisse et la jubilation son monde intérieur comme les espaces immenses du cosmos. Ses idées sur la création poétique et musicale, son énergie rayonnante ont infusé tous ceux qui l’ont connu, qui en témoignent ici avec émotion. Ils ne sont là, rien que pour vous, Pierre Esperbé. Quelle culot de leur dire à la revoyure ! Heureusement, Colette veille et avec Concerto pour marées et silence, revue (dont elle vous a emprunté le titre avec votre accord) elle continue de multicolorier votre image. On vous voit, on entend votre voix grave. Survivent votre espace de soleil et nos rêves de vous.
Extraits
De la part d’Annie THOMAS :
Quand je pense à Pierre, je prête l’oreille, la voix de Pierre, sa belle voix chaude envoûtante celle qui nous a lu des contes, dénoncé l’absurdité des méandres administratifs, qui nous a parlé de Paris, à chaque quartier son histoire, celle qui nous a, poètes chanteurs organisateurs du FPPN – festival populaire de poésie nue, (salut Miguel[1] je pense à toi !) interrogés à la radio intimidante, nous savons Pierre que tu nous attends, on viendra nous les filles en robes de fête : Martine, Colette, Annie aussi, avec le passeport en poche le visa pour vivre le rêve à tes côtés, tu seras là-haut notre guide, à tout bientôt ! Ça va si vite …
[1] Miguel Angel Fernandez-Bravo, fondateur des Éditions du guichet.
Narthex
(page de CK)
Ce livre commencé deux mois après mai 68 lui a été en partie inspiré par la cathédrale de Vézelay et marque aussi une approche de l’humain qui lui est propre. Il parlait toujours des événements de 68 avec une émotion particulière, non pas tant pour les changements intervenus en politique mais pour la fraternité qu’il avait ressentie, pour le dialogue qui s’était instauré entre les hommes de toutes origines sociales. Ce poème allie cette ferveur humaniste à la ferveur mystique, ce qui transparaît dans la dédicace qu’il m’a écrite : ce premier et « primitif » chant d’espoir…
Il écrit contre les dictatures, comme ici, dans À demi-mots :
Dans une dictature on n’a pas le choix : il faut être un salaud ou une victime.
Et aussi :
Ne sont-ils pas dangereux ceux qui préfèrent l’idée à l’homme. On peut sauver l’idée en détruisant l’homme. Pourtant l’homme parti, que devient l’idée ?
Et :
Dans une démocratie on est responsables de ses adversaires.
La seule attitude saine face à la structure sociale et humaine qui nous est donnée : c’est la révolte.
*
Tina SCHAEFER se souvient :
Énigmatique cassette
Lors d’un déménagement, j’avais retrouvé une cassette sans indication extérieure. À cette époque j’en recevais beaucoup. Curieuse, immédiatement je l’écoutais… Surgirent alors de ma mémoire un visage et le timbre de voix si caractéristique de Pierre Esperbé qui nous avait accueillis ce jour-là, ma complice en littérature et moi-même, dans les studios de Radio Digitale afin de présenter la revue Sépia « arts/poésie/femmes », que nous avions créée dans les années 1980.
Me revinrent à l’esprit l’enthousiasme et la spontanéité de Pierre sans cesse à l’écoute des univers qui se présentaient à lui. Il accueillait, questionnait avec énergie et fébrilité. Un état qui lui était propre car cet homme faisait de sa révolte un acte permanent, véritable alchimie vers une altérité sans faille. Sa curiosité de l’humain le tenait dans une posture de partage.
Ce jour-là, je rencontrai un être d’une grande générosité, travaillant sans relâche et qui avait compris l’importance de la transmission. Esprit indépendant épris de liberté, l’art sous toutes ses formes était sa force de conviction.
Tout en poursuivant l’écoute, petit à petit, les souvenirs surgissaient car d’autres rencontres avaient eu lieu. Le partage de la poésie, du théâtre, de la peinture, des dîners joyeux en compagnie d’amis communs dont Colette Klein, André Malartre, Jean Dubacq, Jocelyne Godard, José Millas-Martin, Guillevic, tous fêtant l’amitié et la vie dans des débats souvent passionnés. Je n’oublierai pas ces moments de retrouvailles intenses.
Pierre Esperbé, regard aiguisé, cheminait avec toutes ses interrogations. Je me souviens avec émotion de cet ami, poète, metteur en scène, homme de radio qui inlassablement édifia sa relation au monde.
Pierre Esperbé, homme-orchestre
Patricia FERTÉ[1] se rappelle (Extrait):
Bien des souvenirs ont remonté à ma mémoire en lisant le texte des différents contributeurs du présent ouvrage, mettant en lumière l’homme-orchestre qu’était Pierre Esperbé.
Marie-Noëlle Sarget, politologue et sociologue mais également peintre, avait fait la connaissance de Pierre lors d’une exposition de peinture et lui avait recommandé de prendre contact avec moi, responsable éditoriale. J’attendais donc un poète, dramaturge, homme de radio qui venait d’achever son premier roman qu’il se proposait de publier dans notre alors jeune maison d’édition. Il arriva à l’heure dite, veste claire, pantalon sombre, chemise blanche et nœud-papillon, car se rendre chez son peut-être futur éditeur ne devait pas être pris à la légère… Au fil du temps, le nœud-papillon disparaîtra et le col de la chemise se desserrera.
Marie-Noëlle m’avait expliqué en peu de mots que le roman se passait durant la Révolution française, avec deux personnages principaux : Robespierre et la Guillotine, mais sans pouvoir m’en dire guère plus. Assis sagement sur sa chaise et sur la réserve les premières minutes, dès qu’il en vint à parler de son roman, son visage et son corps s’animèrent brusquement. Durant une bonne demi-heure, il me parla avec véhémence de Robert Lindet, membre du club des Jacobins et Montagnard. Pierre le connaissait fort bien puisqu’il l’avait fréquenté, ainsi que de nombreux membres de la Convention nationale et du Conseil des Cinq-Cents, durant de nombreux mois à la Bibliothèque nationale. Il avait épluché en particulier le Moniteur universel, l’ancêtre de notre Journal officiel, qui retranscrivait les interventions de chaque député et s’en était imprégné à un point tel qu’il était capable de citer de mémoire des phrases mémorables, notamment la réponse de Lindet à Saint-Just lorsqu’il s’était agi de voter la mort de Danton : « Je suis ici pour secourir les citoyens, non pour tuer les patriotes ». Le courage de Lindet, mais aussi sa modération pour réprimer des troubles fédéralistes dans l’Eure et, surtout, son travail de serviteur fidèle de l’État au sein du Comité de salut public, ne pouvaient que séduire Pierre. J’en avais donc conclu que le héros du roman était Robert Lindet. Que nenni ! Le texte s’attachait à Isabelle, une roturière mariée à un ci-devant en fuite à l’étranger, bien plus âgé qu’elle, dont elle était sans nouvelle. Or, lorsque commence l’intrigue, par le truchement d’une loi scélérate, des roturiers telle Isabelle, du fait de leur mariage, sont considérés comme des aristocrates, ce qui leur confère l’honneur de tutoyer pour la première et dernière fois de leur vie le « rasoir national ». Arrêtée et mise en prison, Isabelle se lie d’amitié avec Thérésa Cabarrus, maîtresse du sulfureux Tallien. Philippe Tabrany, Montagnard, amoureux d’Isabelle, s’associera avec ce dernier afin de renverser de leur piédestal Robespierre et la guillotine pour sauver leurs belles. Ces affres douloureuses d’être « au pied de l’échafaud », l’humaniste Pierre Esperbé nous les fait ressentir à travers les vers du grand poète André Chénier, qui attend la mort à la prison Saint-Lazare :
Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre
Anime la fin d’un beau jour,
Au pied de l’échafaud j’essaye encor ma lyre.
Peut-être est-ce bientôt mon tour ;
Peut-être avant que l’heure en cercle promenée
Ait posé sur l’émail brillant,
Dans les soixante pas où sa route est bornée,
Son pied sonore et vigilant,
Le sommeil du tombeau pressera ma paupière !
Pierre était sensible à ces contradictions humaines qui incitaient André Chénier à converser avec sa muse au pied la « Veuve », tout comme au destin de Robespierre à qui il prête diverses réflexions qui parsèment le livre sur la lutte entre le Bien et le Mal, la nécessité de sauver la Révolution au prix d’un bain de sang ; Pierre se tient également à ses côtés lorsqu’il est gravement blessé et lorsqu’il se tient à son tour au pied de l’échafaud.
Au fil des années, je comprendrai qu’à la fin de l’ouvrage, « en » son épilogue, deux personnages sont représentatifs avec Robert Lindet de certaines idées-force de Pierre. Il s’agit tout d’abord de Bémontier, « ouvrier ébéniste dans le faubourg Saint-Antoine », appelant de ses vœux en début d’ouvrage « une véritable révolution sociale au service des plus humbles », tandis qu’au moment de conclure le livre, il annonce que le xixe siècle « sera social ou ne sera pas ! » et déplore que la Constitution de l’An I n’ait pas été appliquée, car elle faisait peur, notamment à Saint-Just. Ne disait-elle pas, dans son article 35 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». Bémontier poursuit : « J’estime que chacun a le droit de respirer. L’air n’est-il pas le seul bien qui soit accessible à tous, sans contrainte, sans restriction de principe… libre… L’eau, la terre sous nos pieds, peuvent être sujets de propriété, d’accaparements, pas l’air ! Tant qu’il en sera ainsi, l’humanité tiendra la clé de sa survie ».
Quant au second personnage, Douville, agent (fictif) notoire du Comité de Sûreté générale, dont Pierre nous dit qu’« à sa connaissance il n’avait jamais commis d’actes nuisibles envers ses concitoyens, ce qui, vu sa fonction, était des plus louables pour l’époque », il annonce qu’il part s’embarquer « pour tenter de gagner les terres vierges de l’Amérique ». Une soif similaire animait Pierre pour l’ailleurs signalée par plusieurs dans le présent ouvrage, concernant notamment l’espace interstellaire, le « Big bang » et les avancées scientifiques ayant trait au « trou noir ». Cela m’est apparu clairement à travers sa petite-fille. Il est venu un jour nous la présenter à la librairie, très fier car elle effectuait des études scientifiques à San Diego aux États-Unis afin de devenir cartographe. Il était émerveillé par les techniques auxquelles elle recourait, notamment les satellites.
Cet attrait pour les grands, voire les immenses espaces, est à mon sens un reflet de son esprit qui roulait sans cesse mille pensées, mille désirs, mille actions à accomplir. Je pense à un manuscrit de prose poétique dont j’ai oublié le nom, qu’il m’avait confié pour le publier et que j’avais refusé car il se refusait à y effectuer des coupes. Or le texte était extrêmement long et décrivait sur des dizaines et des dizaines de pages un homme qui s’élevait du bas d’une montagne afin d’en atteindre le sommet, et que les ronces, les branches, les épines, les rocs agrippaient, puisqu’il n’y avait plus de sente. Le soleil transperçait malaisément et l’homme errait, l’âme et le corps en peine. Le texte, écrit depuis plusieurs décennies apparemment, datait peut-être de la période où Pierre était en dépression, mais reflétait en tout cas une immense souffrance morale et physique, ainsi qu’un incommensurable désir de s’élever psychiquement et intellectuellement afin de découvrir de nouveaux horizons.
[1] Responsable éditoriale et co-fondatrice des éditions Pétra qui a publié son roman : Au pied de l’échafaud.