Poèmes et dessins.

Belle édition.

 

 

A propos du livre

 

Article d’Hédi Bouraoui

paru dans la revue Littéréalité

Les Hautes Volières du Silence. Collection iô Poétique. 1994. 58 pages.

 

Ce recueil contient neuf dessins en noir et blanc et une toile à l’huile en couleur, un poème manuscrit du poète-peintre et l’ensemble se présente en folios détachés et non numérotés. Livre d’artiste dont les dessins s’ajustent à la thématique proposée présentant des formes abstraites avec des échancrures, des échappées, des envols de lignes qui semblent sortir de la cage noueuse et tranchante de la sensibilité. La poésie de Colette Klein est dense et vigoureuse se synthétisant en images insolites ; son imaginaire éblouit en sortant de ses gonds, libérant en même temps les souvenirs de l’enfance et les cauchemars d’un exil métaphysique.

 

Le premier vers d’attaque traduit bien la fuite hors de la prison qui nous encage : Le silence préfigure l’envol / quand les mots ont cessé de nourrir/ les simulacres du sang (p.5). Le titre du recueil est emprunté à la chute d’un poème, un vers final qui boucle le cercle infernal des menaces et des douleurs. L’absolu – en son recueillement -/ désincarne les fenêtres/ et dilue le poème/ dans les hautes volières du silence (p.35).

L’auteur est hantée par la mort et les saillis des dessins représentent « des poignards » évoquant cette fuite en avant de la métaphore qui expose avec acuité les zones de la souffrance et du néant. Le silence comme le vide ou la «néante» sont enfin de compte un espace carcéral en haute altitude permettant l’essor de l’imaginaire. Ainsi le processus créateur se déploie en archipels de mémoire, en déambulations de miroirs intérieurs, en dérives d’offrandes parfois hurlés parfois murmurés. Co1ette Klein a le talent de marier le concret et I ‘abstrait avec un rare bonheur. Le silence devient une demeure avec ses murs, ses portes et ses fenêtres ou les vivants – êtres humains, arbres, et pierres – jouent leur existence avec une avidité indescriptible. lIs la jouent comme au poker empreints d’étouffement et de jubilation, d’angoisse et de calme, au ralenti, en glissement ou en hâte. La variation du souffle confère donc à cette poésie un rythme bouleversant, une atmosphère de tension et d’amour, toujours sur le fil du rasoir.

 

L’affrontement des êtres et des choses suit des courbes rocambolesques, ce qui donne naissance à des visions surprenantes : La nuit exhibe ses fantômes dans les linges de l’aube (p.27), ou Les arbres se souviennent de la cendre/ qui servit à leurs accouplements (p.28), ou Le puits paralyse les années qu’il retient sous les étoiles (p.29). On pourrait citer presque tous les vers car la poésie de Colette Klein donne à voir autrement un monde familier que l’on découvre comme pour la première fois, étonné et ébloui par la découverte du connu qui se révèle un inconnu d’une étrangeté insoutenable. Surpris par ces percées de lumières qui s’évadent de la nuit et des ténèbres, ces fantômes, qui sortent de l’ombre et de l’invisibilité, se matérialisent devant nous, fleurissent à notre insu dans notre corps de lecteur, puis se mettent à rivaliser avec les oiseaux dans des mouvements d’extase infinie.

 

Nous assistons alors à une libération extraordinaire de l’alphabet du silence, le regard ancré à des pépites de lumière, et Seuls les anges assisteront au chaos (p.49).

 

Pour le poète, si Dans le vestiaire des oiseaux/les nuits changent de cauchemars, c’est que Toute vie saccage le silence des pierres (p.33). Dans cette traversée du désert, Colette Klein nous fait respirer à la hauteur d’une écriture sublime qui nous désaltère aux lèvres de la terre (p.54). Dans l’exiguïté des paupières du monde, elle nous vide et nous remplit de périples de la joie (p.53), tout en nous éclairant de l’incandescence des ombres magiques de ses images.

 

Hédi Bouraoui

Université York