2è livre

 

Lettre des Éditions Saint-Germain-des-Prés du 29/1/1975

À réception du manuscrit de « À défaut de visages »

transmise par Catherine BRAUD, de la Direction littéraire

 

Il y a, chez ce poète, une sorte de refoulement de l’être par rapport au monde, et une interrogation anxieuse sur son appartenance totale à celui-ci : J’allais sourire / mais les hommes ont détruit ma citadelle / mon unique refuge. Ce refuge Colette Klein l’invente dans la poésie ; mais c’est pour découvrir en elle maintes peurs, obsessions, angoisses : La peur a mis son corsage d’oiseaux (…) La peur ouverte et blanche / qui bégaye un souvenir sous les cris de la lampe / une feuille morte à la place du cœur. Partout, ce poète semble se heurter à une sorte de menace à la fois insistante, et feutrée. Et pourtant, dans cette énigme désespérante, il y a l’intuition, sans cesse, d’une renaissance. À peine cependant Colette Klein se reprend-elle la voici à nouveau, cherchant un climat étouffant : J’ai besoin d’une fleur / pour oublier de vivre… Et la mort est le fond de son ciel. Quand la menace se précise, elle s’écrie, au sein d’une fantasmagorie qui l’oppresse : Monstres de feu / monstres sacrés / Pourquoi les avez-vous lâchés contre moi ? S’il y a le sentiment d’amour dans ce recueil, il est aussi tenu en défiance, peut-être à juste raison, et transposé. Je ne partirai plus en croisade, écrit l’auteur, imbibé d’un constat d’échec, mais tout en rêvant, malgré tout, à Une nuit sans vautour, enfin, et nous achèverons de paraître des hommes.

 

Extraits 

 

 

Et si des fleurs venaient aux racines

sans que l’arbre ait droit au cri

des fleurs dans le ventre même de la terre

 

et sur elle

seulement les oiseaux

pour guetter le jour de la grande naissance

 

*

 

en toute vérité

en toute solitude

une terre piétinée vidée

en toute violence

 

et le dernier oiseau

   dans le dernier nid

pour donner vie

encore

vie

à la terre

 

l’éternité à rebours

avec de nouveaux chemins

 

*

 

Ce que la nuit pouvait me dire

je ne l’entendais pas

 

ce que la peur avait pu construire

je ne le voyais pas

 

Ce que le temps charriait contre la vie

je ne les regardais pas

 

celui qu’on avait mis à ma place

de l’autre côté du miroir

lorsque je me suis enfui

je ne l’ai pas reconnu.

 

*

 

Tricher

afin que les soleils

ne soient plus les premiers à renaître

 

Tricher

contre le mensonge des arbres

et leur exil de bêtes.

 

Tricher

contre le jeu lui-même

afin que les oiseaux n’aient autre épouvantail

que l’homme crucifié

l’immortel

le dernier prophète

À

*

 

J’ai écrasé tout ce qui brillait au fond de l’eau

j’ai appris à ne plus reconnaître

à détourner de moi

l’écorce des

visages.

 

*

 

     avec la naissance de l’arbre

 

   et comme

    en proie à l’herbe visage

 

mensonge d’homme

    dans les corolles offertes

    dans chaque mot

 

    dans chaque naissance de mot

 

à ne pas dissimuler,

     il arrive parfois

que l’on devienne statue

*

J’allais éclore

mais le feu a repeint la vie

et ses doigts de dentelle

m’ont écrasé

sans bruit

 

J’allais sourire

mais les hommes ont détruit

ma citadelle

mon unique refuge

 

Je survivrai

mais nul jamais ne saura

qui

je suis