Ce livre a été inspiré par la mort de mon père, survenue en 1995.
À propos du livre
Article de Jacques Eladan
Sous le titre très suggestif La neige sur la mer ne dure pas plus que la mort, Colette Klein vient de publier un beau recueil de poèmes en prose conçus comme une traversée de l’univers nocturne. La nuit n’est pas ici célébrée pour son mystère, reflet des ténèbres de la psyché humaine, comme elle le fut par les poètes romantiques, mais elle devient la source d’une méditation angoissée sur l’hébétude pétrifiante et l’anonymat dans lesquels le matérialisme mutilant de l’ère du béton a plongé l’univers. Ce monde indifférencié, où les visages et les choses ont perdu leur contour précis, comme s’il avait été couvert par un linceul de neige, est décrit par la poétesse, avec une profusion de métaphores originales évoquant l’engourdissement, les ombres, le mutisme, la solitude, l’effondrement des corps, le dénuement et la mort. Toutes ces expériences négatives qui sont le lot de notre quotidienneté, ont transformé le paysage en véritable désert : La nuit, quand elle naîtra, ne retrouvera personne. Mais la tentation de désespoir suscitée par cette désolation est néanmoins transcendée par Colette Klein, qui oppose à la désincarcération des humains, le désir qui maintient la flamme, composée d’air, de sang et de chair, la parole qui brûle l’hébétude, le sourire de l’enfant, le regard de l’autre, et la soif de l’aurore. Mais c’est surtout la poésie, magnifiée dans plusieurs textes du recueil qui apparaît à C. Klein comme la force rédemptrice capable d’irradier ce monde dévitalisé. Le sang balbutie des poèmes destinés à camoufler le vide, a déchirer, contre l’obscur, toutes les membranes du corps.
Ce recueil est une véritable réussite poétique car Colette Klein a su trouver la voie de l’harmonie parfaite entre la profondeur du contenu et l’enchantement de l’écriture.
Extraits d’une lettre reçue de Henry Rougier, datée du 20 novembre 1997
S’il est attrayant de par sa présentation, il est plus que beau de par son contenu. Et ce que vous appelez des mots embués de nuit ne sont pas seulement les mots l’une écriture aussi riche qu’elle est tendue vers la perfection du dépouillement, mais aussi et surtout ceux d’une alchimie (consciente ou non, peu importe) dans le résultat éminemment poétique, donc explicatif sans jamais l’être pourrait s’appeler cristallisation de la prose. (…) Non, votre livre n’est pas sombre. Il est d’une lucidité peu commune. Il est même empli de lumière, quand bien même le rêve dans le rêve s’épuise. Par oubli. Par abandon de soi à la brûlure du vide. Et quand bien même le piège, sous la parole, se nomme solitude. Surtout même. Puisque quelqu’un viendra réveiller le désert, déposer entre les dunes, la flamme composée d’air, de sang et de chair.
Extraits
Il n’aura pas eu le temps de grandir avec les arbres ni de perdre, dans la fièvre, l’innocence qui lui permettait de se taire et de survivre.
Il n’aura pas appris à reconnaître les différents visages de l’hiver.
Le sommeil, au lieu d’éteindre les souvenirs, les ranime et leur donne l’illusion du souvenir.
Il ne verra pas les neiges et pourtant sera vêtu de blanc.
Il vieillira, dans le silence, contre le corps de la lumière ; il veillera.
Les nuits se rapprochent de plus en plus.
Il n’aura pas le temps de détourner le regard ni de songer à l’approche du jour.
*
Ce sont les hirondelles qui secouent la nuit, jusqu’à sa décantation dans la vase de l’aube.
Personne n’a jamais su les voir ; pourtant des bouts de ténèbre restent accrochés aux fils électriques, leur donnent une apparence qui n’a rien de commun avec ce qu’elles sont vraiment.
Des blessures dans le ciel leur permettent le passage de pays en pays sans être reconnues.
Seule la lumière devine qu’elles ressemblent à la face cachée de la neige.
*
Mais s’apercevoir, juste avant de mourir, que les arbres, la nuit, gardent leurs fleurs pour dormir.
*
Les dormeurs ne savent plus sortir du songe ; ils s’agenouillent en vain au pied de l’ombre qui leur servait de mémoire.
La fenêtre qui les sépare de la mort est fermée. Pour combien de temps encore ?
Une poussière dans leurs yeux leur fait croire à la découverte d’une étoile.
Ils espèrent en vain l’offrande du jour.
Les nuits se rapprochent de plus en plus.