N° 1 – 2008

 

Sommaire ; 

Claude ALBAREDE, Marc ALYN, Madeleine ASSOUS (gravure), Raymond BEYELER, Eliane BIEDERMANN, Claudine BOHI, Denise BORIAS, Gérard CLERY, Danièle CORRE, Maurice COUQUIAUD, André DOMS, Jean DUBACQ, Pierre ESPERBÉ, Mireille FARGIER-CARUSO, Vera FEYDER, Alain FREIXE, Eva GALLIZZI (gravure), Roger GONNET, Françoise HÀN, André LAGRANGE, Bertrand LAMPIN, François LAROQUE, Jean-Claude MARTIN, Jean-Paul MESTAS, Bernard MONTINI, Gérard MURAIL, NIMROD, Michel PASSELERGUE, Claude PETEY, Isabelle PONCET-RIMAUD, Jacques RANCOURT, Richard ROGNET, Georges ROSE, Nohad SALAMEH, Katty VERNY-DUGELAY, Jean-Luc WAUTHIER et Serge WELLENS.


Jusqu’aux larmes nous vieillirons

Pour un déclic sous un contrat de libellules

Mais en attendant tu souris

Toi ma si jeune

Mon clair froissement d’éventail.

Henry ROUGIER

« Archipel d’être »

Editions Arcam


André LAGRANGE

 

POURQUOI LA POESIE …

 

« O bouches, l’homme est à la

recherche d’un nouveau langage ».

(Apollinaire)

 

Le rôle attribué au poète sur la place publique (ainsi que dans le monde des Lettres) relève davantage d’une ignorance en porte à faux que d’une appropriation langagière.

De même l’action du poète – en tant que créateur (libérateur) – reste obscure pour l’homme au quotidien. Cette action suppose-t-elle l’approche d’allégories des plus burlesques, la connaissance d’une linguistique dans l’improbable de l’analyse ? Le poète – de nos jours de tous temps – trouble, inquiète, dérange … Pour certains (les intellectuels) : il s’épanche avec trop d’illusions, pas assez de métaphysique. Pour les autres (attentifs à la structure de leur époque) il fixe une absence du réel, une dramaturgie du sens commun qui ne saurait convaincre personne.

Alors appartient-il au poète de modifier son comportement, de supprimer tout avant-gardisme dans son énonciation ? Nous ne le pensons pas. Cet homme, si peu différent des autres, peut-il cesser d’être un sujet d’étonnement, de représenter une facette, par trop naïve de l’existence ? Il est salutaire de rappeler que la poésie n’est pas que l’instrument minimal du poète – mais qu’elle représente une formulation en devenir, le traitement idéalisé de toute « reconnaissance » s’appliquant aux individus inventifs et louvoyant à contre-courant d’une absurde maîtrise.

Donc, être poète suppose une ferveur consciente – sans cesse en mouvement – prête à exalter une dimension intermédiaire entre la vie et l’absurde. Nul n’est en droit d’ignorer la poésie. Besoin inexplicable mais nécessaire afin que l’obscurité devienne lumière, que tout rapprochement (physique ou mental) allume des feux de braise ! L’homme « cette passion inutile » nous a révélé Sartre en d’autres temps – ne peut s’affirmer qu’entre des repères imaginatifs. De nos jours, le poète sera un élément révolutionnaire ou plongera dans la plus grande des confusions … à nous, poètes, d’être des révélateurs attentifs à cette volonté d’être que tout esprit porte en lui. De faire comprendre que l’expérience intellectuelle est une victoire contre la mort.

Ainsi le poète se présente-t-il (à chacun), sans faiblesse ni absolu, comme un élément premier – nous dirons initiatique – qui permettra (à tous) d’entrer dans le royaume du surréel à travers lequel la pensée choisira sa ligne de fuite : dialectique ou théâtrale, qui a nom POESIE !

Bernard MONTINI

Ils ont cherché

Dans la sécheresse de leurs bouches

Ces mots évaporés, ces mots

D’ardeur, cette

Simple proximité où l’âme est

A genoux devant ce qui manque.


Les voici réunis dans la poussière

Des routes. Cloués par la lumière

Qui les habite, ils sont l’étendue

Sans lieu d’une blessure sans origine.


Dans ces copeaux d’hommes

Éparpillés,

Ils mesurent les fractures du temps.

Ils assemblent à leur insu

De frêles silhouettes frissonnantes,

Mâchent leur improbable éternité.

Leurs larmes sont sans limite …


Ils n’ont plus peur de l’avenir

Ils sont cette barre de métal rouillée

Tombée sur la chaussée

Dont le bruit cisaille

Le peu qui reste à rêver.


L’essentiel est sans ombre – disent-ils –

En s’abritant des morsures de la lumière

Le gris peu à peu efface tout

Pourtant ils continuent de mordre

Chaque page de leur livre

Réinventé jusqu’à l’oubli.


Ce petit tas d’épopées

Enfouis sous leurs ongles

Cette exaltation nocturne qui déchire leurs vareuses

Sur le banc du square

Au milieu de pigeons stupides.


Un silence d’âme

Guette avec acuité

Ce bruit chiffonné

Des corps déchus

Le froissement de chaque solitude

Est l’histoire du monde – pensent-ils –

En mangeant leur figue

Sous l’ombre du figuier.


Plus loin que la mort

Se mesurent deux créatures

L’une étouffée

Qui transpire devant un mur

L’autre derrière le mur

Regrettant la vie passée.


Leurs pieds lourds

Impriment sur le temps

Une trace de cœurs éclaboussés

Ils mesurent avec aménité

Ce qui les sépare de la merveille

Sans mots ils inventent

La patience des empreintes oubliées.


Leurs sourires crispés

Ont tant tutoyé l’éternité

Qu’ils ne se reconnaissent plus

Leurs bras liges

Ont dévoyé les preuves

Ils restent là muets

Oxydés de vagues projets inanimés.


Dans les arrières cours

Leurs sentiments d’insignifiance

Marbrent leurs poitrines d’un souffle coupé

Les éboueurs ont fait disparaître les traces tangibles

Le matin s’apprête à de nouvelles tâches

Celles où les morts vont réinventer l’infini.


Ne leurs jetez pas la pierre

Dans l’embrasement des stigmates

Ils ont présenté un visage

Où tous ont pâli

Sans même connaître

Les dérives d’un chant au coude à coude

Tout cœur trop vaste n’a plus d’ailes

Victime de sa lourdeur

Il gît

Tels des mots vains

Noyés dans des mares.