N° 9 – 2016

 

Sommaire : Daniel ABEL, Claude ALBARÈDE, Guy ALLIX, Jean-Louis BERNARD, Raymond BEYELER, Éliane BIEDERMANN, Patrice BLANC, Jean-Paul BOTA, Claudine BRAL, Ferruccio BRUGNARO (trad. de Jean-Luc LAMOUILLE), Guy CHATY, Francis CHENOT, Thierry-Pierre CLÉMENT,Gérard CLÉRY, Marie-Lise CORNEILLE, Danièle CORRE, Maurice COUQUIAUD, Gaël CUIN, Chantal DANJOU, Christine DELCOURT, Éliane DEMAZET, Lucienne DESCHAMPS, Alain DUAULT, Chantal DUPUY-DUNIER, Olivia ELIAS, Sonia ELVIREANU, Pierre ESPERBÉ, Bernard FOURNIER, Nicole HARDOUIN, François IBANEZ, Michel JOIRET, Werner LAMBERSY, Béatrice LIBERT, Adrien MEUNIER, Ivan de MONBRISON, Gérard PARIS, Jean-Pierre PARRA, Marianic PARRA, Michel PASSELERGUE, Georges ROSE, Jeanine SALESSE, Jacques SICARD, Richard TAILLEFER, Frédéric TISON, Hélène VIDAL, Denis WETTERWALD, Colette WITTORSKI.

Notes ou articles sur : Violaine BONEU, Sylvestre CLANCIER, Mireille FARGIER-CARUSO, Roger GONNET, GUÉNANE, Claude HAZA, André LAGRANGE, Patricia LARANCO, Claude LUEZIOR, Évelyne MORIN, Jacques-François PIQUET, Isabelle PONCET-RIMAUD, Roland REUTENAUER, Jean-Claude TARDIF.

L’orage d’aimer : Collage de Christine DELCOURT (© Joana JANIW)

DELCOURT l'orage d'aimer (2)

Christine DELCOURT

 

 

L’ORAGE D’AIMER

 

L’orage d’aimer est aussi le titre d’un recueil de C. Delcourt publié en 1989 dans la collection Polder de la revue Décharge (épuisé).

Blanche statue d’albâtre, figée, drapée dans la bannière du désir qui claque haut, vrille l’univers sur sa hampe et enflamme les cieux. À défaut, peut-être, des dieux.

Traits estompés – comme gommés – par trop de caresses, poitrine épinglée à la place du coeur, médaille de guerres lasses, sexe masqué par des lèvres bâillonnées sans plus d’identité. Les bras m’en tombent dans l’infini. Crâne rasé, l’extrême nudité offerte au silence de l’oracle de plomb.

Être bohémienne en ses foulards, tireuse d’amours dans le jeu des passions, figure d’aventures en tête-bêche. Au creux des reins zébrés de fatigues multiples, les chiffres du destin tatoués sans retour possible.

Et miser sur l’orage de vaines trêves, des repos si lointains

que la rage vous prend.

 

Et, extraits de ses Carnets

 

Toute beauté est blessure de l’âme.

Le bruit de la pluie tambourine et inonde. Crève la peau des yeux.

Tam-tam des pas dans les rigoles de la vie.

Le corps et ses fausses notes. Désaccordé.

Et soudain apparaît la disparition. Blanche comme la foudre. L’éclair opalescent qui aveugle le cœur.

 

Michel JOIRET

 

 

 

 

Le passé n’appartient qu’à la pluie

Où se déchausse la chair des jours

Les revenants n’ont quelquefois besoin que d’une averse

Pour revenir

 

 

Je rêvais d’un livre qui reprendrait l’haleine des couleurs

Qui passerait dans tes pinceaux une main de nylon

Un livre

Qui parlerait de toi pour taire la menace

Un livre enfin

Qui poursuivrait la fête où nous l’avons laissée

 

 

Un jour la couleur s’éteindra sur ma cendre

Et je serai tabac de mes feuilles d’avant

La poudre aromatique de ses pinceaux figés

Sur une idée de

Mouvement

 

 

Il y a des mots qui crissent

Qui cendrent

Qui durcissent et

Qu’on roulerait entre les dents mais

Les mots qui me viennent pour parler de tout ceci me

Pleurent aux gencives tout au long d’une toile intérieure

Où je me tais souvent

 

 

 

Mentir serait

Peut-être mieux

Se dire est

Sans raison garder la

Plus détestable folie

J’ose à peine être

Je dans

Le frémissement de

L’eau qui broute les

Reflets concertés de

Mon encre et du

Doute

 

 

Ce n’était jamais même

Robe

Ni même cire au

Bleu des jambes ni

Violette ni

Jasmin mais

L’amidon d’une

Caresse à

Coque de mains

Ce n’était que

L’effilochée d’une

Tendresse mâchonnée

Par l’huis des jours

On pourrait dire à

La saignée du

Geste bu que

Ce n’était du

Feu des ans que le

Bouillonnement

Des fois je me regarde comme

La gare de Magritte

Les yeux collés du tout premier

Sommeil et cependant

Ouverts à des lieux

Ignorés

Et je me voisfiler très

Vite dans

Le wagon déserté par la

Caresse des voyages

Perclus de gestes et de

Paroles où

Je me suis porté

D’une berge à l’autre de

Moi-même

 

 

 

Un arbre centenaire

Couronne de tête en tête le

Seul jardin que je me fais

Il vit plus loin que moi qui

Marche sur des aiguilles

D’horloge

Qui crapahute dans une

Seule idée de femme et

Qui ravaude les ventres avec

Du fil de soie

Un arbre rassasié

De pourritures nobles et de

Pluies grassesvoyeur de

Mes vies innombrables un

Arbre de compagnie qui

Me couchera comme un mulot sur

La mousse invisible du

Temps

Les lectures d’Eliane BIEDERMANN

Roger GONNET La Voie Haute [1]

Dans ce nouveau recueil, Roger Gonnet nous invite à pénétrer dans son univers intérieur, où le ciel, la mer et la terre s’entremêlent et se répondent, où les pierres ordinairement muettes, deviennent les dépositaires des secrets du poète : Qui dira le délitement des fontaines / la pierre où l’écriture demeure / Qui dira sous la pâleur des ciels / le fleuve qui court à la mort.

Ces poèmes courts ont d’autant plus de poids que chaque mot choisi, chaque métaphore, sont porteurs des mystères de la nature qui nous enveloppe et nous renvoie à notre condition d’êtres humains dont le temps trace la finitude : Le temps qui tourne les pages / met la mer dans la largeur des eaux / Il est le vent qui remue tout.

Le poème devient la voix / voie haute qui clame dans l’univers notre destin, l’hiver qui nous attend malgré la présence réconfortante des oiseaux. Les mots de Roger Gonnet nous parlent des vertus de l’écriture, des lampes et des fontaines qui nous aident à traverser le monde, son agitationet ses douleurs. L’espérance demeureet perce sous la grisaille dans nos vies où il n’y a pas de certitude mais des chemins.

L’auteur nous montre sa voie, la voie haute, celle de la poésie qui nous permet la juste distance pour porter nos regards sur la nature, et la famille des humains qui est la nôtre.

Dans un brouillard de sable / L’oiseau tremble / La vie a des grâces de porcelaine, des ébréchures qui / font douter. / C’est un vent du sud / sur une forêt ouverte / Un temps irrigué /de ruisseaux.

Sylvestre CLANCIER :

Dans le noir & A travers les âges [2]

Ce nouveau recueil de Sylvestre Clancier nous entraîne dans un voyage à travers les âges et les civilisations. Pour le poète, l’âme est nomade : elle voyage d’Ithaque en pays celte,de la grotte enchantée de Calypso aux mégalithes d’outre-temps. La mémoire célèbre l’intemporalité / où dés jetés jamais n’aboliront / le hasard des mots lancés / dans la bataille / ou retenus. Les peintures rondes et colorées de Didier Guth accompagnent les mots enfantés par la mémoire qui fusent dans les interrogations du poète. La poésie devient un parcours initiatique, soudaine quête d’un passage.

Le poète est un démiurge qui peut communiquer avec les puissances obscures à l’éclat / sans pareil Lumière diffuse / de l’outre monde, pour mieux nous éveiller au monde qui nous entoure.

La deuxième partie du recueil nous montre le questionnement intarissable de l’homme sur la fuite du temps : La pensée un effort / diversement qualifié / Éclat, éclair, brandon / ou forge au labeur intense / Étincelle ou course de fond /Le temps finira-t-il par en avoir raison ? L’auteur critique au passage notre société de surconsommation qui s’accompagne de préjugés et d’idées toutes faites faute de pensée véritable.

La fin du recueil évoque la tragédie d’Abel et deCaïn, avec notre éternelle propension à ne pas mettre en œuvre la fraternité qui devrait être l’apanage de notre genre humain.

Ce livre de Sylvestre Clancier où textes et peintures se conjuguent harmonieusement est riche à plus d’un titre, notamment en références à la mythologiegrecque et à l’ancien Testament. C’est un questionnement sur le destin de l’homme, exprimé en une belle poésie imagée, dans laquelle chacun peut se ressourcer :

La vérité de chacun d’entre nous est la quête / d’un sens à jamais perdu, de chaque tombe / il faut extraire un nerf, un spasme, / une vision ardente et rester insomniaque, / pour que l’humain advienne du dehors, / de l’autre côté, de l’ailleurs peut-être inaccessible…

Évelyne MORIN : Le Bois des corbeaux [3]

Ce nouveau recueil de poèmes d’Évelyne Morin est un hommage aux soldats de la guerre de 1914-1918 tombés au Bois des Corbeaux ou en d’autres lieux-dits,témoins de la Guerre des tranchées (la forêt d’Argonne, les batailles de l’Aisne, le Haut-Rhin…). C’est une évocation douloureuse de l’ombre de ces hommes dont l’auteure a retrouvé les noms, à qui elle restitue une identité pour imaginer leur calvaire. Ces lieux deviennent des « lieux de mémoire »comme en témoignent les belles photos d’Éliane Morin : tranchées, plaques commémoratives, statues, enfin immense cimetière anonyme de croix blanches…

Évelyne Morin a l’art de nous faire entrer en empathie avec les âmes de ces soldats avant leur fin tragique : La terre se couvrait de brume /qui l’empêcherait de voir / en tombant seul /à terre aimante /à terre fauchée /des hommes qui ne savent /pas parler /Des blés qu’on n’a pas moissonnés /et des coquelicots qui poussent au soleil rouge /loin d’ici où je meurs. Mais elle fait aussi revivre les chevaux de cette époque, les villages anéantis, les arbres et les paysages se mettant au diapason de l’horreur…

Les mots de la poète savent évoquer cette période d’angoisse et de ténèbres ; ils traduisentsa sensibilité exacerbée à la gigantesque tuerie de la Grande Guerre. Ses mots résonnent en nous, sauvant de l’oubli ceux qui ont payé un si cher tribut à la folie meurtrière des hommes : Les voix s’estompent /on reprend le cours des choses /Là-bas il y a des longs cimetières / au bord des routes /accrochant le soleil et le vent /comme avant les barbelés / Il y a les arbres des morts /dans les bois / les longues allées aux oiseaux / assourdissants / Il y a les pas qu’on n’ose / faire sur la terre vivante / des morts enfouis/ Il y a le cœur étreint / des soldats inconnus / dans le grand vide des lieux arrêtés / au milieu du temps.

 

 


[1] Illustration couleur de l’auteur. Sac à Mots éditions,2015.

[2] Dessins de Didier Guth. Les Lieux dits Éditions, collection 2 Rives – 2014.

[3][3] Éditions Les Tilleuls du Square / Gros Textes – 2015