N° 7 – 2014

 

N° 7 – 2014 : Jean-Louis BERNARD, Raymond BEYELER, Eliane BIEDERMANN, Patrice BLANC, Denise BORIAS, Marie-Josée CHRISTIEN, Gérard CLÉRY, Danièle CORRE, Jean-Pierre CRESPEL, Chantal DANJOU, Eliane DEMAZET, Pierre ESPERBÉ, Laurent FAUGERAS, Claude GAISNE, Nicole HARDOUIN, Rodolphe HOULLÉ, JAPH’ELIOS, JEANNE-MARIE, Lionel JUNG-ALLÉGRET, André LAGRANGE, Brigitte MAILLARD, Jean-Claude MARTIN, Jean-Paul MESTAS, Ivan de MONBRISON, Evelyne MORIN, Gérard PARIS, Jean-Pierre PARRA, Michel PASSELERGUE, Jacqueline PERSINI-PANORIAS, Richard ROGNET, Stéphane SANGRAL, Calou SEMIN, Jacques SICARD, Arnaud TALHOUARN, Katty VERNY-DUGELAY..

Notes ou articles sur Jean-Louis BERNARD, Louis BERTHOLOM, Paul de BRANCION, Francine CARON, Jean-Pierre LEMAIRE, Béatrice MARCHAL, Jean MÉTELLUS.

*

Dessin de Claude GAISNE

GAISNE rogné

*

                  Lionel JUNG-ALLEGRET

 

 

 

Ce dont il ne reste rien

(extraits)

(…)

Ici vibre un jour pourfendu d’obscur.

Un temps de pierre bleue et d’oublis.

Un temps de charniers

malaxés à la terre puissante.

Dans cette parole auréolée de vies soudaines. Que reste-t-il dans ce qui reste de lumière. Ailes incendiées d’œils pourpres. Elytres ouverts. Foudres verdoyantes entre les ombres jaunes.

Lente

notre faiblesse dans le va-et-vient du rien.

Ô dormeurs dans le lin. Frères de silence quand viennent les pages rougies de suie. L’ignorance dressée dans le vol.

Une montagne au loin suspend l’allée de l’air. Arrête les pas. Gèle les membranes ouvertes aux gerçures.

Nous voici gravissant la hauteur aveuglante.

Chaque os fait son chemin. Chaque peau sa prière. Je connais la terre mieux que le ciel. Mes mains cueillent de l’une à l’autre l’étrave ensanglantée des jours.

Brocs. Écuelles de terre. Couverts mouillés par la peine. Revenant à la table du jour poser le couteau de paix.

Qui a gravé ces mots

dans les veines blanchies par le temps.

Sèche les vents trop chauds. Les peaux moites. Les regards enduits d’aromates et de sel.

Des enfants allongent leurs âges sous des draps fins. La nuit couvre ce qui respire, dévore les plaintes qui ruissellent entre les jambes.

Dans mes mains jointes, se presse une parole. Elle n’est ni mot ni silence. Endeuillée de capes de néants noirs, voici qu’elle avance comme une colère.

Je n’entends rien qui lui tient de vie. J’entends les pleurs. Les femmes tournoyantes. Les mains aux ancres rouges sur les éviers ébréchés. Des casseroles de fer. Des eaux qui sifflent et qui bouillent.

Des cordons de sangs noirs pendus plus haut que la lumière. J’entends l’air exhumé des poumons et les vagissements entre les portes du deuil.

Ô femmes souillées d’ongles brisés. De matières. De paumes rêches usées par le temps. De fécondités tues. De dieux pourchassés jusques aux langes.

Femmes voilées de marbre et de fertilité.

Femmes fébriles devant la mort.

Ô Femmes.

Sœurs du désert. Des pierres arasées. Des terres cuites et brisées dans les âtres secs. Dans la cendre des torses nus. Ô Femmes aux multiples noms. Sœurs de vies, vouées à la rage et aux alvéoles du vide.

Ô Femmes aux chants brûlés, au vin clair. Femmes de mil et de récoltes. J’entends la nuit imprégnée de sorts. La salive de la lumière. La forme dans la lie.

Ni parole ni silence. Ni clarté ni vie des anges. Ici, l’air est illuminé de boues.

Ici la vie monte aux feuilles des figuiers

comme araignées au fil de l’épée.

Luisantes de légèretés.

Creusées d’ombres.

Vacillantes comme un feu perdu.

Je suis celui qui entend l’épeire et ses montures. Qui chevauche une nuit de taons et d’yeux jaunes comme des miroirs.

Tels sont les pleurs.

Tels sont les pleurs et la colère.

Tel le silence bouleversé de la nuit.

N’entends-tu ce chant dans tes reins. Cette main qui t’écrase. Le ronflement des ivrognes qui meurent devant la mer. Le souffle des marins que l’on guette et cette mort au loin déguisée de filets de lune et d’appas que traversent des morceaux d’oiseaux.

N’entends-tu le miroitement de l’eau et la vaisselle jetée dans la plénitude du soir.

Écris ce que tu sais. Écris-le avec le froid.

Écris-le avec la peau de tes morts collée à ta peau.

Écris-le comme la seule respiration qui brûle dans l’air.

Avec le gel dans les brocs.

Avec les iris crevés.

Avec les cris des mères analphabètes.

Avec leur saleté et leurs odeurs de cuir chevauché.

Ecris leurs nuits de femmes soumises.

Leurs matins volubiles.

Leurs métamorphoses de linges et de graines.

Leur peau meurtrie jonchée d’enfants sans nom.

Ecris la lapidation. Les yeux ouverts au silence.

Les os brisés et les hymens au sang jaune.

Ecris la beauté restée vierge dans les arcs du ciel.

Ecris pour elles.

Pour l’eau usée des rêves et le vent mortel qui se vide entre les arbres.

Pour leur parole tue. Retournée au bout du monde.

Ecris le silence des livres d’école et des lettres enterrées sous les lits des maisons. Ecris ce vide blanc au centre du temps où des mains aux douceurs insensées se sont posées sur ton front.

Ecris ce chant de havres et de chemins. Ces fenêtres battues d’ustensiles. De gruaux. De fumées. De tabliers enduits de crasse et de bonne volonté.

Ecris avec la densité des miroirs. Avec l’eau rougie dans les éviers et la persistance remontée du puits.

Ecris cette violence des hommes nus dans la peur.

Ces souliers boueux enjambant les corps

et les aiguilles aux jus noirs tournées dans le sang bleu des vierges.

Ecris ce sang jeté dans les bassines avec les trains qui passent. Ce sang dépossédé de mémoire. Ces gerbes silencieuses dispersées sous les roues des convois.

C’était le temps des départs. Des ancêtres sans nom allongés dans l’herbe. Le temps de l’exil et des poèmes de tissus entre les assauts de fer.

Celui des semailles réduites à un geste et des enfants lavés avec l’eau des parchemins.

Du temps qui ne servit à rien.

Va. Vis. Déroule-toi des cordes des livres. Regarde ta mère frotter ses mains jointes sur l’écorce des arbres et son ventre usé par la dureté des graines de l’hiver.

Aime-la. Plains-la. Et va.

Va. Vente. Enlève-toi les peaux mortes de la fatalité et les fards du chagrin. Renais et tue-toi mille fois encore pour connaître la face du soleil.

Brûle contre le froid. Durcis devant la mer. Bois le lait caillé du jour. Meurs avec la neige et ressuscite dans la misère des symboles.

Ouvre l’immensité.

Trouve-la dans les fagots qui sèchent.

Dans les corbeaux sur tes bras.

Dans les mains de ceux qui sont morts avant le jour.

A leurs prières. A leurs yeux fermés.

Aux souffles des passereaux.

Aux odeurs de cannelle sous les fruits qui pourrissent.

Entends le murmure

qui t’espère.

Entends cela dans les formes disparaissantes du dehors.

Cette parole porte ton nom.

Fermée comme tout chemin.

Ouverte comme toute nuit.

Cette parole qui vit

où se clouent les déchirures.

(…)

*

 

Danièle CORRE

.

Je t’ai appris

ces pays de granit

où le cœur et le corps

s’écorchent aux ajoncs.

Je t’ai appris

ces terres de silence

où les pas résonnent

dans leur course

et fuient,

si la mort le veut bien,

si rien n’est dit

de ce qui importe.

Il faudrait fracasser

la roche

lacérer le livre,

rendre au sol fertile

la tendre tige

de la parole

et l’entourer de soins

constants.

Ceux-là

avaient de moi,

dans le ventre de la maison,

des pulsations d’enfant docile

voué aux célébrations.

Je me suis soustraite

aux mains cherchant

à me placer dos

à la blancheur des murs,

plus certainement,

les mains se sont dérobées

abandonnant aux abîmes,

au sang des blessures,

la fragile image

d’azur veinée.

Les os, les muscles,

l’opiniâtre désir

rameutés,

n’ont pas failli

dans la longue

escalade des heures

à chercher le jour.

Je pars,

je quitte les années closes,

les pas précipités,

les coups du sort anciens,

je mets en caisses et cartons

mille choses

qui bourdonnent de récits,

de paysages, de mots dits,

de mots écrits, de mots-souches

en sol fertile,

j’emporte aussi

l’envers des larmes,

les taches de sang

qui colorent le jour

d’un éclat

durable.

Les draps séchés

au soleil d’automne

détiennent les rires

des enfants qui se sont jetés

dans l’écran blanc

qu’on tend

pour plier

les pans de clarté.

Aucune lessive

n’efface leurs visages

que le temps a essorés.

A grand bruit,

le rouleau de l’énigme

dévide les chemins empruntés.

*

                JAPH’EIIOS

La Retenue

Ce n’était ni un endroit ni un envers

Ou peut-être les deux

Faut-il en préciser le lieu

Ou ce qui en tient lieu

Une scène où officient les voix retrouvées

L’endroit où l’on soigne l’écho perdu

Calfeutré d’algues et de racines

Pour en retenir la perte qui, à tout moment menace

C’est pourtant ici que se jouent les controverses à l’encontre de l’oubli

Un son, une note à peine audible

Retenus de quelque façon au fond du clavier ou de la gorge

Juste un filet de voix, le souvenir d’une note

Tendus vers le silence et, à présent, à l’encontre d’eux-mêmes

Venant percuter le tympan de l’espace

Pour dire l’insensé sur le miroir souterrain de la Retenue

– Sous le nom mystérieux d’Enélèh ou bien était-ce Ennahda –

Face aux reflets sur la paroi ruisselante

Était-ce le bon endroit pour susciter le nom dans le renversement du son

Et toutes les nuances qui pouvaient en sortir

Cela assurément était la sombre clarté du Retour

*

MÉLANCOLIE DES OISEAUX

Bien plus que nous
– voix rebattues chant dilettante –

décollement de l’entendement
sifflantes bleuies aux aguets
sous la tonnelle isolée offrande

blottis sous la treille
à la merci piaillements en vrille

Solitaires en quête d’éclairs
échos répons claquements de becs
serions-nous tous des orphelins ailés ?

Reconnaissance ô combien intime
notes flûtées bruissement d’ailes

sans vraiment les voir tu les entends
nids dans les hauteurs
parfois croassements cris de ralliement

nuage éparpillement des trilles
à pas comptés sous la treille

enfants des Thermopyles
lanceurs de billes lavées de bruine
sont-ils les rois mages de nos envols ?