Pièces de théâtre  (déposées à la S.A.C.D.):

  • La Récolte du feu,   donnée en lecture publique par “Théâtre à dire”
  • Armande et Rosalie,  représentée au Théâtre de Ménilmontant

 

Dialogues : (écrits au cours des années 70)

  • Le Temple 
  • L’Incompris

 

Romans  Titre collectif : D’une vie à l’autre

  • Cicatrices (Fin des années 70)
  • Pandémonium (dans les années 90)
  • S’apprivoiser (2009)
  • L’Ange des séparations (2016)
  • La Vie est une île (2020)

 

Extraits 

 

Extrait de La Récolte du feu :

 

Valérie – Viens, nous allons être en retard.

Pierre – Le bûcher est déjà dressé.

Mathilde – Que brûlez-vous ?

Mathilde enfant – Un de nos compagnons qui a désobéi à la loi.

Mathilde – Pourquoi le brûler ?

Mathilde enfant – Le feu purifie, c’est connu.

Pierre et Valérie – Nous n’avons plus de temps à perdre.

Ils sortent en courant.

Mathilde – Comme ils sont cruels, eux aussi. Ils se désolent sans avoir appris la douleur. La récolte viendra après, animée d’un feu destiné à l’épuisement. Une senteur nouvelle envahit l’espace, une puanteur que j’avais d’abord prise pour une odeur de sel, qui ne vient ni de la mer ni de la fleur et qui dessèche les marais, jusqu’au désert.

Un autre – La récolte renaîtra après le feu.

Mathilde découvre les autres. Elle les regarde, s’approche d’eux.

Mathilde – Qui êtes-vous ?

Un autre – Nous sommes les autres.

Un autre – Nous sommes nés pour vous entendre, mais aussi pour vous parler.

Mathilde – Que voulez-vous ?

Un autre – Seulement vous écouter.

Un autre – Et que vous-même vous écoutiez.

Mathilde – Et si je refuse ?

Un autre – Vous n’aurez pas d’existence.

Un autre – C’est à peine…

Un autre – … si vous aurez droit au silence.

Mathilde – Et Stéphane ?

Un autre – Il est né pour vous connaître.

Un autre – Vous êtes née pour lui.

Un autre – Si vous le tuez…

Un autre – …vous mourrez avec lui.

Mathilde – Ce n’est pas possible.

Un autre – Quand on n’exige pas également que tout devienne à portée de regard.

Un autre – Vous suffoquerez tant que l’espace piétinera en vous.

Un autre – Nous sommes nés pour vous entendre.

Un autre – Mais nous ne pouvons rien.

Un autre – C’est le devoir qui nous commande.

Un autre – Mais toutes vos haines…

Un autre – … sont en vous.

Un autre – Comme toutes vos amours.

Un autre – Ce que nous ne pouvons faire,

Un autre – vous le ferez.

Mathilde – Comment le pourrais-je ?

Un autre – Cela aussi est en vous.

Un autre – Retournez.

Un autre – Retournez.

Un autre – Il n’y a pas de secret que vous ne puissiez connaître.

Mathilde – On dirait que je suis élue pour un destin auquel je ne pensais pas.

Un autre – Peut-être…

Un autre – Peut-être.

Elle se retourne, revient à sa place initiale.

Mathilde – Qu’ont-ils voulu dire ? Je ne comprends pas. Décidément, plus rien ne va… Je me demande comment il peut encore faire jour. Si l’univers cessait d’exister, le saurais-je ? C’est absurde, bien sûr, terriblement absurde. Pourtant je n’ai pas l’impression d’exister comme avant. Tous ces niveaux de conscience différents, subtilement nuancés ; ils s’enchevêtrent parfois d’une façon si étrange. Comment être sûre après cela que les choses sont réellement ce qu’elles prétendent être ? Je ne crois pas qu’il faille mourir pour changer d’existence. C’est le cœur qui change de vie à la manière des sabliers qu’on oublie de retourner, souvent, pour s’assurer un peu de folie.

 

Extrait de Le Temple

 

 

La femme – Je viens pour…

L’employé – Attendez, je dois remplir un questionnaire. Quel est votre nom ?

La femme – Mon nom ?

L’employé – Il faut bien que je sache qui vous êtes. Montrez-moi vos papiers d’identité.

La femme – Je les ai perdus.

L’employé – Alors, ce n’est pas ici qu’il faut vous adresser. Allez au commissariat.

La femme – J’ai perdu mon sac.

L’employé – Vous perdez tout !

La femme – Mes papiers étaient dans mon sac…

L’employé – Pas tout à la fois, s’il vous plaît ! Énumérez-moi dans l’ordre une chose après l’autre.

La femme – J’ai perdu mon sac avec tout ce qui était dedans.

L’employé – Mais votre identité… Vous ne m’avez toujours pas montré vos papiers. Je dois accomplir mon travail !

La femme – Puisque je vous dis…

L’employé – Si vous ne les avez pas, vous n’existez pas.

La femme (excédée) – Enfin !

L’employé – Comment puis-je avoir la preuve que vous êtes Madame Durand Catherine, épouse de Monsieur Martin…

La femme – Précisément, je ne m’appelle ni Durand ni Martin.

L’employé – Qu’est-ce que je vous disais !

La femme – C’est absurde !

L’employé – Si c’est votre identité que vous avez perdue, nous possédons des cellules spéciales. Des gens de toutes espèces attendent comme vous…

La femme – Je ne peux pas attendre.

L’employé – Parce qu’en plus, vous êtes intransigeante ! Vous voudriez récupérer tout de suite votre sac, votre peigne, votre argent et que sais-je encore ! Faites-moi la liste.

La femme – Mais j’ai tout perdu en même temps.

 

Extrait de Cicatrices

 

Je ne veux rien. Sinon ne pas te faire de peine, mais je ne reviendrai pas. Simplement, je t’écrirai chaque jour, j’écrirai. Les mots me sont d’un si grand secours. Je ne conçois pas d’amour plus grand que celui qui s’appuierait sur les mots, uniquement sur les mots. Maintenant, je suis surpris d’avoir pu vivre avec toi, d’avoir pu te toucher, te tenir au bout de mes doigts. Pourquoi ne m’as-tu pas dit que je t’agressais ? Car il s’agit bien d’une agression, vois-tu ! Et cet enfant qui est maintenant en toi se développe comme le ferait un cancer. Un amoncellement de cellules qui prolifèrent, obligé de croître, d’augmenter. Les lois ne pardonnent pas avec la chair, mais moi je suis vivant, je suis un amoncellement de cellules qui dégénèrent et je t’ai blessée.

J’ai voulu être en toi, ainsi qu’une grenade. L’explosion n’a pas été spectaculaire. Elle s’est faite au ralenti. Tout à l’intérieur de l’être. Nous naissons comme cela, d’une explosion. J’ai eu tort de croire que cela pouvait suffire à notre bonheur.

Les mots. Plus que les mots entre nous. Aujourd’hui, j’en arrive à t’aimer réellement. Ne me réponds pas, c’est inutile. Je n’ai plus d’autres préoccupations : je te parle, je t’écris, j’invoque pour nous tous les langages. Je ne voulais pas me marier pour préserver les grands actes, les grandes choses. Mais les grandes choses en viennent à s’user comme les autres. J’avais si peur de la médiocrité. J’aurais dû comprendre que c’était là le signe, que je l’ai conçue le jour où j’en pris peur. La médiocrité est itinérante à la personne et je découvre aujourd’hui, sans frayeur, sans étonnement, que la vie ne s’invente pas. Elle existe déjà et nous la regardons être. Il me faudra désormais négocier avec elle, percevoir le quotidien sans redouter de m’y soumettre. Pour le moment, l’inquiétude, tenace, me retient traitresse qui voudrait me faire croire que l’avenir peut être est source d’imprévu, quand je sais – comme si j’étais le dieu – que rien n’arrivera, puisque rien n’est jamais arrivé. Étrange accalmie que celle des statues. Je veux être pierre. Je ne veux pas de la moisissure. Je veux la dureté, la surface qui sert de limite entre deux espaces contraires. Je veux l’absolu de la pierre.

 

Extrait de Pandémonium

 

Cependant, le matin du 21 juin, il se réveilla facilement, plus tôt que d’ordinaire, sans migraine et il jugea que c’était là un signe favorable. L’actualité était sinistrement, banale : attentat, émeutes raciales, détournement d’avion avec prise d’otages, forêt meurtrière – deux pompiers intoxiqués. Pour la première fois depuis des mois, le ciel et le soleil étaient « normaux » : ciel bleu, presque outremer, diffusant une clarté franche et la ville tout entière qui respirait avec l’été. Sorti de très bonne heure parce qu’il avait passé peu de temps à se préparer, tel un écolier impatient le jour de la rentrée des classes de retrouver ses camarades, il erra dans la rue Saint Antoine, qui avait par miracle recouvré l’animation colorée qu’elle avait connue à l’époque où les « marchands de quatre saisons » étalaient encore leurs laitues et leurs choux-fleurs sur des voitures de bois et surtout, criaient, s’interpellaient avec une bonne humeur et une gaieté communicatives. Il décida d’aller à pied jusqu’à son travail, ce qui l’obligeait à traverser tout le centre de Paris. Dans cette rue, il était allé au restaurant avec Serge, dans cette autre, il était allé voir une exposition avec Léna. La ville s’accrochait à lui, s’infiltrait dans sa mémoire, tentaculaire. Et il lui était impossible de résister aux brefs assauts d’un passé dont les convulsions, si elles inscrivaient d’étonnantes cicatrices, lui permettaient aussi, tant les images étaient précises et les êtres présents, de revivre tel ou tel instant, tellement réel que les passants qu’il croisait n’avait plus que la consistance de mannequins animés déambulant dans un film muet.

 

Pourtant vêtu légèrement et ayant marché sans trop de hâte, il arriva en sueur, à la limite de l’insolation. Il s’empressa d’aller se mettre à l’abri dans son bureau, le plus frais de tout le service, ce qui à cette période torride était devenu un privilège. Il savait que certains employés passaient leur journée dans les lavabos à s’asperger d’eau, d’une eau tiédie pour avoir stagné dans des conduites tout aussi échauffées que l’air. Ils en profitaient pour commenter la situation, se rassurer ensemble ou extérioriser leurs inquiétudes.

 

Extrait de S’apprivoiser

 

Lorsque le docteur B. entra dans la chambre, il fut aveuglé par le soleil qui pénétrait tout l’espace comme un linge enveloppant et il ne découvrit pas tout de suite le spectacle qui s’offrit à sa vue, dans un second temps, quand il fit, de sa main, un écran entre la lumière et ses yeux.

 

Le sol était recouvert de multiples papiers dispersés : les lettres d’Emmanuel Godeau, dont la majeure partie était déchirée et réduite à l’état de minuscules fragments. Le docteur B. fit un pas, se baissa, commença à prendre les pages qui lui paraissaient intactes, mit ses lunettes, et alors seulement releva la tête. Il venait de prendre conscience qu’il était seul : Emmanuel Godeau avait disparu. La porte était pourtant fermée à clé de l’extérieur ; la fenêtre grillagée ne permettait à personne de s’échapper par là, pas même une personne fluette, pas même un enfant !

 

Le docteur B. se releva d’un coup, lâcha instinctivement la feuille qu’il avait commencée à déchiffrer. Il constata que les seuls meubles – un lit, une table et une chaise – avaient été changés de place, mais leur nouvelle disposition ne donnait aucun indice sur la façon dont Emmanuel Godeau avait pu s’évaporer.

 

Il y avait longtemps que personne ne venait plus le voir. Il n’y eut donc personne à prévenir.

 

L’enquête n’aboutit pas : aucun témoin, aucune trace, rien qui pût expliquer le phénomène. Des avis de recherche furent émis, mais en vain. Plusieurs années après, le mystère n’était toujours pas élucidé ; de toutes façons, plus personne ne s’y serait intéressé. Le docteur B. avait pris sa retraite, dont il bénéficia d’ailleurs très peu. Tout s’était passé comme si Emmanuel Godeau avait réalisé le rêve qui l’avait obsédé et qui avait gâché toute son existence et celle de ses amis – de ses anciens amis – : sortir de la gangue infâmante de la matière, se faire oublier, non pas « perdre l’esprit », mais s‘y retrouver, devenir esprit.

 

Extrait de L’Ange des séparations

 

 

Favier était debout devant la fenêtre, le front contre la vitre. Il ne regardait pas au dehors mais restait là, subjugué par l’ombre qu’il sentait monter en lui. Il songeait à ce que lui avait dit sa sœur, Maud, il y a maintenant des années : « Il y a les peintres qui représentent le monde, ceux qui l’imaginent, et ceux qui le refusent pour mieux s’en échapper. »

Il n’était pas peintre mais se demanda si la formule ne pourrait pas aussi s’appliquer au destin de chacun : il y aurait ceux qui apprécient la vie, ceux qui l’imaginent, et ceux qui… mais à quelle catégorie appartenait-il ? La deuxième ? Ou la troisième ? À moins que Maud se soit trompée et que ces deux voies n’en fassent qu’une. Elle seule aurait pu lui répondre, mais il était trop tard pour en discuter avec elle et, finalement, quel besoin avait-il de vouloir savoir. Il avait toujours refusé les étiquettes, pour lui, comme pour les autres. Cela n’avait plus aucune importance.

Lorsqu’il parvint à s’extraire de sa rêverie, sans y penser, il se saisit d’une cigarette et ne l’alluma que plusieurs minutes après. Il se retourna pour faire face à cette chambre qui lui paraissait de plus en plus insupportable, de plus en plus vide en l’absence de Lucia. L’armoire, sombre et massive, envahissait la pièce, parce qu’elle l’encombrait, mais aussi parce qu’elle représentait le lourd héritage de toutes les générations qui l’avaient possédée avant lui. Elle l’empêchait de respirer. Pourtant, il lui était impensable de s’en défaire. Il se détourna, fit quelques pas, et se servit un verre d’alcool.

 

Extrait de La Vie est une île

 

Un enfant court au-devant des vagues. Dès que l’écume arrive de soubresauts en roulements, il recule à petits pas sautillants ; on dirait un chat qui approche sa patte et la retire parce que l’eau ou le feu menacent. Il fait des pirouettes, revient vers sa mère et repart en piaillant vers l’océan, reprend son jeu, son dialogue avec ce monstre ludique qu’il découvre pour la première fois, qu’il voudrait apprivoiser. Des goélands hurlent, accompagnent ses gesticulations. Il est heureux, oui, mais tout autant effrayé. Ses parents rient aussi, attendris par la danse de leur enfant – un pas en avant, trois pas en arrière – une danse qu’il vient d’inventer, et qui donne, qui impose au flux et au reflux un rythme qui chante et qui enivre.

Cette image-là était déjà remontée jusqu’à Vincent des années auparavant, sur une autre plage, avec Élise à ses côtés. Bertrand, leur fils, et Camille, leur fille, tous deux occupés à bâtir un château de sable quelques mètres plus loin. À cet instant seulement il avait compris qu’il avait vécu là la dernière page de son enfance. Il avait aussi pensé à tous les autres enfants qui, en cet été 39 avaient, comme lui, vécu leur dernière escapade dans un monde trop vite saccagé.